Bases théoriques
- Bactéries productrices de béta-lactamases à spectre élargi (ESBL ou BLSE)
- Clostridioides difficile (Clostridium difficile)
- Clostridium difficile
- Entérobactéries productrices de carbapénémase (CRE ou EPC)
- Entérocoque vancomycine résistant (VRE ou ERG)
- Norovirus
- Staphylocoque doré résistant à la méticilline (MRSA ou SARM)
- Méningococcémie-méningite à méningocoques - Notion de base
Entérobactéries productrices de carbapénémase (CRE ou EPC)
En bref
Les entérobactéries sont des bactéries commensales de la flore digestive mais qui peuvent être responsables d’infections graves. Les bêta-lactamases ayant une activité de carbapénèmase sont les plus puissants mécanismes de résistance aux carbapénèmes. Ces carbapénèmases sont identifiées de façon croissante chez les entérobactéries dans le monde entier. Les carbapénèmases de type KPC décrites tout d’abord aux États-Unis chez Klebsiella pneumoniae ont maintenant une diffusion mondiale. Les carbapénèmases de type métallo-enzymes (VIM, IMP…) ont été également décrites dans le monde entier avec une forte prévalence en Europe du Sud et en Asie. OXA-48 est l’une des carbapénèmases les plus récemment décrites, structurellement différente des précédentes et essentiellement identifiée dans des pays méditerranéens (P. Nordmann, A. Carrer : Les carbapénèmases des entérobactéries. Archives de Pédiatrie 2010;17:S154-S162).
Les gènes de ces carbapénèmases sont le plus souvent plasmidiques, majoritairement dans des souches hospitalières de K. pneumoniae mais leur diffusion communautaire a déjà été rapportée. Ces carbapénèmases sont présentes dans des souches multirésistantes aux antibiotiques. Les infections à entérobactéries productrices de carbapénèmases sont difficiles à traiter et peuvent être la source d’impasses thérapeutiques. Leur détection difficile (détection des infectés comme des porteurs), expliquerait leur diffusion à bas bruit aux conséquences thérapeutiques dramatiques.
Stratégie de prise en charge
En absence de consensus international sur les mesures à adopter et en raison de notre épidémiologie locale, nous avons opté pour une attitude de précaution maximale. Cette attitude sera à réévaluer en fonction de l’évolution.
Le contrôle des EPC repose sur une identification des patients à risque et la mise en place chez les patients porteurs d' EPC de mesures afin de limiter au maximum la propagation de ces germes dans nos établissements de soins.
Microbiologie
Les carbapénémes demeurent les bêta-lactamines au spectre d’activité le plus large. Ces antibiotiques sont actifs vis-à-vis de très nombreuses espèces de bacilles Gram négatif dont les entérobactéries, Les carbapénémes sont limitées à un usage hospitalier, prescrites majoritairement dans le cadre du traitement d’infections associées aux soins. La résistance aux carbapénémes chez les entérobactéries résulte essentiellement de deux mécanismes impliquant tous deux des bêta-lactamases. Le premier mécanisme associe la production d’une céphalosporinase chromosomique ou plasmidique ou une BLSE à une diminution quantitative ou qualitative de l’expression des protéines transmembranaires que sont les porines. Ce mécanisme a été décrit il y a plus de vingt ans tout d’abord chez Enterobacter spp puis dans d’autres espèces d’entérobactéries qui produisent naturellement une céphalosporinase (Serratia sp, Citrobacter freundii, Morganella morganii…). Plus récemment, des mécanismes de résistance aux carbapénémes, assez similaires, ont été décrits combinant une céphaloporinase plasmidique (DHA-1, cmY-2…) ou une BLSE (TEM, SHV, CTX-M…) à une imperméabilité dans des espèces d’entérobactéries qui n’expriment pas naturellement de céphalosporinase (Klebsiella pneumoniae, Proteus mirabilis, Escherichia coli, Salmonella spp). Plusieurs études suggèrent que ces résistances sont réversibles du fait de l’instabilité de la modification de porines. Une modification de ces porines entraînerait une limitation de croissance bactérienne liée à une moindre utilisation de substrats. Le second mécanisme de résistance aux carbapénémes est lié à l’expression de bêta-lactamases à forte activité hydrolytique vis-à-vis des carbapénémes, les carbapénémases. Il est plus important d’un point de vue clinique car il compromet le plus souvent l’efficacité de presque toutes les bêta-lactamines. Il est stable et survient dans des souches qui sont très souvent multirésistantes à d’autres familles d’antibiotiques liées en grande partie à la localisation plasmidique de ces gènes de résistance.
Structures, niveaux de résistance et génétique
Les carbapénémases décrites chez les entérobactéries appartiennent aux quatre classes connues de bêta-lactamases (classe A, B, C, D de la classification d’Ambler). Les plus importantes, cliniquement, sont actuellement les bêta-lactamases de type KPC, IMP/VIM et OXA-48. Les bêta-lactamases de classe A ont une activité qui est totalement ou partiellement inhibée in vitro par l’acide clavulanique et le tazobactam alors que les autres types de ß-lactamases ne sont pas inhibés par ces inhibiteurs classiques de bêta-lactamases.
Béta-lactamases de classe A
Les carbapénémases de classe A ont été tout d’abord rapportées dans plusieurs souches d’entérobactéries isolées de l’environnement (Serratia, Enterobacter), produisant des bêta-lactamases dont l’activité était inhibée par l’acide clavulanique. Leurs gènes sont chromosomiques ou plasmidiques. D’autres carbapénémases, les bêta-lactamases de type GES, ont été identifiées chez K. pneumoniae et E. coli. Ces enzymes GES-4, GES-5 et GES-6 hydrolysent les carbapénémes relativement faiblement. Il s’agit de carbapénémases de structure très similaire à ESBL GES-1, dont elles ne diffèrent que par de simples changements ponctuels d’acides aminés qui expliquent l’élargissement de leur spectre de substrat.
Les carbapénémases de classe A, les plus fréquentes et les plus menaçantes, sont les carbapénémases de type KPC (KPC-2 à KPC-8). Le plus souvent les souches qui produisent KPC expriment également d’autres bêta-lactamases dont de nombreux types d’ESBL (TEM, SHV, CTX-M). Les souches KPC apparaissent donc le plus souvent multirésistantes aux bêta-lactamines. Les études génétiques montrent que ces gènes KPC sont localisés sur une variété importante de plasmides. La mobilité de ces plasmides contribuerait fortement à la diffusion interespèces de ces gènes KPC. L’association des gènes KPC à d’autres gènes de résistance aux antibiotiques sur de mêmes structures génétiques explique en grande partie la multirésistance de ces souches.
Béta-lactamases de classe C
Les premières carbapénémases de classe B (IMP) (ou métallobêta-lactamases) avaient été identifiées dans des espèces d’entérobactéries typiquement hospitalières (Serratia, Citrobacter et Enterobacter) au Japon. Puis d’autres métallobêta-lactamases ont été isolées dans des entérobactéries, dans le monde entier ; il s’agit des nombreuses variétés de bêta-lactamases de type IMP et VIM, GIM-1, KHM-1 et NDM-1. Ce sont des métallo-enzymes qui contiennent des ions zinc dans leur site actif. Dans de nombreux cas, les souches productrices de métallobêta-lactamases produisent aussi des ESBL. Les gènes de ces métallobêta-lactamases sont, le plus souvent, des plasmides qui assurent la mobilité de ces gènes de résistance et la multirésistance aux antibiotiques des souches.
Béta-lactamases de classe C et D
L’analyse des propriétés biochimiques de plusieurs céphalosporinases plasmidiques montre que certaines d’entre elles ont une très faible activité de carbapénémase qui pourrait entraîner un certain degré de résistance aux carbapénémes. La carbapénémase de classe D, OXA-48, décrite tout d’abord chez K. pneumoniae hydrolyse, par contre, beaucoup plus fortement les carbapénémes. OXA-48 est souvent associée à d’autres bêtalactamases, en particulier des ESBL, ce qui contribue à la multirésistance des souches. En l’absence d’autres bêta-lactamases, les souches qui ne produisent qu’OXA-48 peuvent ne présenter qu’une légère diminution de la sensibilité aux carbapénémes. Le gène d’OXA-48 est localisé au sein d’un transposon comportant deux séquences d’insertion identiques assurant mobilité et expression.
Résumé de la classification des carbapénémases
Classification |
Type enzyme |
Spectre d’activité |
Germe |
Type A |
KPC |
Toutes les β-lactamines |
Entérobactéries P. aeruginosa |
Type A |
SME |
Carbapénème et aztréoname |
S. marcescens |
Type A |
NMC-A, IMI |
Carbapénème et aztréoname mais pas C3G |
Enterobacter spp |
Type A |
GES |
Imipénème et C3G |
P. aeruginosa Entérobactéries |
Type B Métallo-β-lactamase |
IMP, VIM |
Toutes les β-lactamines sauf astréoname |
Entérobactéries P. aeruginosa Acinetobacter spp |
Type D |
OXA |
carbapénémes |
Acinetobacter sp |
Épidémiologie
Béta-lactamases de classe A
Parmi les bêta-lactamases de classe A, seules les carbapénémases de type KPC ont été très largement rapportées dans le monde. Les autres carbapénémases de classe A ont été identifiées ponctuellement. Les carbapénémases KPC (essentiellement KPC-2) ont été identifiées essentiellement chez K. pneumoniae et plus rarement chez E. coli, P. mirabilis, Enterobacter sp. , Serratia sp. Après leur identification sur la côte est des États-Unis, d’autres souches d’entérobactéries KPC ont été très rapportées dans la plupart des états des États-Unis, avec une forte prévalence dans l’état de New York. Dans certains cas, 30 % des souches de K. pneumoniae, productrices de KPC. Puis, ces souches ont été très décrites en Israël et en Grèce où elles semblent être, maintenant, endémiques. Elles ont été rapportées également dans la plupart des pays européens de façon sporadique, au Canada, en Amérique du Sud, dans les Caraïbes et en Chine.
Les souches de K. pneumoniae KPC sont souvent clonalement reliées. Cependant, une étude récente comparant des souches de K. pneumoniae d’origine montrait une variabilité de ce fond génétique et une variabilité des plasmides possédant ce même gène de résistance. Ceci suggère l’émergence dans le monde de plusieurs clones à l’origine de cette épidémie internationale de carbapénémases de type KPC.
Béta-lactamases de classe B
Les enzymes de type VIM et IMP sont également très répandues en particulier chez K. pneumoniae avec des niveaux d’expression de la résistance aux carbapénémes variables. L’Europe du Sud contribue fortement à la diffusion de ces marqueurs de résistance (VIM-1 notamment). En Grèce, la proportion de souches de K. pneumoniae résistantes aux carbapénémes a augmenté considérablement passant de < 1 % en 2001 à 20 % dans les unités classiques d’hospitalisation, à 50 % dans les unités de soins intensifs en 2006. L’identification de VIM-1 chez P. mirabilis, en Grèce, indique une transmission communautaire de ce gène de résistance.
NDM-1 est l’une des métallo-bêta-lactamases les plus récemment décrites. Elle a déjà une diffusion internationale importante, identifiée au moins en Inde, au Pakistan et en Grande-Bretagne chez K. pneumoniae et E. coli en milieu hospitalier et communautaire. La prescription de bêta-lactamines ou de quinolones est un facteur de risque d’acquisition de ces souches. Les taux de mortalité associés aux infections dues à ces entérobactéries produisant des métallo-bêta-lactamases varient de 18,8 % à 66,7 %.
Béta-lactamases de classe C et D
Aucune donnée n’est disponible concernant l’impact clinique des céphalosporinases dont le spectre est très partiellement élargi aux carbapénémes. Les conséquences cliniques d’OXA-48 sont par contre maintenant bien établies avec sa diffusion chez K. pneumoniae dans de nombreux hôpitaux en Turquie et dans de nombreux pays du pourtour méditerranéen (Liban, Tunisie, Israël, Égypte, France) en Grande-Bretagne, en Inde et en Argentine. En Turquie, plusieurs épidémies d’infections nosocomiales sont associées à ce type de souche.
Traitement
La plupart des souches d’entérobactéries produisant une carbapénémase ont un phénotype de multirésistance aux antibiotiques qui limite très fortement les possibilités thérapeutiques. Cette multirésistance est, en partie, due à l’association fréquente de carbapénémases et de ESBL.
En pratique les possibilités thérapeutiques se limitent souvent au mieux à certains aminosides, à la tigécycline, à la colistine, à la fosfomycine voire à certaines quinolones. Plusieurs études font état de l’utilisation de carbapénémes et d’aminosides ou de colistine en association, avec un succès variable. La mortalité semble être d’autant plus faible que les traitements associent deux antibiotiques auxquels la souche reste sensible. Les perspectives de nouvelles molécules thérapeutiques dans le traitement des infections à entérobactéries productrices de carbapénémases sont assez limitées.
Détection
La détection des souches productrices de carbapénémases reste difficile. Deux situations peuvent se présenter : la détection de carbapénémases dans des souches responsables d’infections et la détection dans des souches de portage. La détection dans les souches infectantes repose, en première intention, sur une analyse du phénotype de résistance obtenu avec un antibiogramme classique.
L’étape suivante de détection d’une activité carbapénémase est classiquement l’utilisation du test microbiologique d’activité carbapénémase la technique dite du «Hodge test », de réalisation et d’interprétation difficiles.
L’utilisation de techniques moléculaires basées sur la PCR avec des couples d’amorces spécifiques aux différents groupes de gènes de carbapénémases permet une identification précise des carbapénémases.
La détection des porteurs sains se fait par analyse d’écouvillonnage rectal ou de selles chez les patients à risque. On peut définir ces patients comme ayant été au contact d’un patient infecté/colonisé ou comme étant directement transféré d’un hôpital étranger. L’identification de portage dans la flore intestinale revêt un intérêt particulier pour prévenir ou circonscrire très vite une épidémie naissante. Deux milieux de screening ont été évalués, le milieu « Chromagar KPC » (Chromagar, France) et le milieu « ChromID ESBLs » (BioMérieux, France). Le milieu Chromagar KPC (Chromagar, France) permet une bonne détection des souches exprimant KPC. Le milieu ChromID ESBLs contient une céphalosporine sélective. Il permet la détection de toute souche ayant un certain degré de résistance aux céphalosporines. Le délai d’obtention des résultats utilisant ces techniques de screening reste de 48 heures. Certaines études indiquent l’intérêt des techniques de PCR pour dépister directement dans les selles les porteurs de souches KPC.
Recommandations de prise en charge dans le canton de Vaud
Ces recommandations ont pour objectif de limiter rapidement la diffusion d’entérobactéries productrices de carbapénémase (EPC) dans les établissements de soins aigus du canton de Vaud. Elle s’applique à tous les nouveaux patients colonisés/infectés par CRE et à leurs contacts. Elles reposent sur une identification rapide des cas suspects et la mise en place de Mesures Additionnelles contact avec isolement géographique et confinement des cas durant leur hospitalisation.
Patients concernés
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Tout patient transféré depuis un établissement de santé étranger doit être considéré comme potentiellement porteur de EPC. Il en est de même pour les patients ayant séjourné dans l’année dans un établissement sanitaire étranger.
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Tout patient ayant eu un contact durant son séjour avec un patient infecté/colonisé par un EPC
Mesures de contrôle pour limiter la diffusion des EPC (CRE)
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Dépistage à l’admission des patients à risque (frottis rectal)
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Pour les secteurs hospitaliers à haut risque de transmission, mise en place de Mesures Additionnelles contact (MAC) en chambre individuelle dans l’attente des résultats
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Pour les secteurs à bas risque de transmission le maintien des Précautions Standard, idéalement en chambre individuelle, peut être envisagé
En cas de dépistage positif ou de découverte fortuite d’un EPC chez un patient, les recommandations suivantes seront appliquées :
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maintien en MAC durant tout le séjour
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confinement en chambre (isolement géographique au besoin), éviter le transfert dans un autre service
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alerte lors de réhospitalisation
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information lors d’un transfert dans un autre établissement
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dépistage des voisins
Conclusion
L’isolement de souches d’entérobactéries produisant une carbapénémase est croissant dans le monde entier. Il s’agit essentiellement des bêta-lactamases de type KPC, des métallo-bêta-lactamases IMP/VIM et plus récemment de la métallo bêta-lactamase NDM-1 et d’OXA-48. K. pneumoniae reste l’espèce d’entérobactérie chez qui la plupart de ces carbapénémases ont été identifiées. Ces carbapénémases sont très majoritairement identifiées dans des souches nosocomiales, mais en sera-t-il de même à l’avenir? Une diffusion communautaire de ces résistances aux carbapénémes rendrait leur contrôle impossible. Ces carbapénémases sont le plus souvent associées à des résistances à d’autres familles d’antibiotiques contribuant à la multirésistance aux antibiotiques de ces souches. Une fois établie, cette multirésistance ne régresse pas facilement. Le risque d’impasses thérapeutiques est réel. La mise au point et l’utilisation de tests moléculaires de diagnostic rapide et fiable des souches productrices de tous types de carbapénémases deviennent un impératif afin d’en limiter la diffusion.
En conclusion, l’émergence des entérobactéries productrices de carbapénémases représente un véritable risque de santé publique. Outre l’inactivité de l’ensemble des molécules thérapeutiques de la classe des bêta-lactames, ces bactéries présentent fréquemment de multiples mécanismes de résistances qui peuvent conduire à une impasse thérapeutique.
Ces souches nécessitent d’être rapidement et efficacement détectées afin de prendre au plus vite les mesures préventives et thérapeutiques appropriées vis à vis des patients qui les hébergent. Leur détection peut parfois se révéler difficile mais de nouveaux moyens font peu à peu leur apparition afin de faciliter leur mise en évidence au laboratoire de microbiologie.
Littérature
- P. Nordmann, A. Carrer: Les carbapénèmases des entérobactéries. Archives de Pédiatrie 2010;17:S154- S162
- Guidance for Control of Infections with Carbapenem-Resistant or Carbapenemase-Producing Enterobacteriaceae in Acute Care Facilities. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2009;58: 256–60
- F. Olearo, D. Pires, V. Camus, S. Harbart Entérobactéries productrice de carbapénémases : stratégie de contrôle et prise en charge des patients porteurs, Swissnoso, 2017