Bloc opératoire et antibioprophylaxie en chirurgie
Introduction
L’infection est un risque lors de toute opération. Au moment de la fermeture de la plaie on retrouve de faible quantité de germes pathogènes dans plus de 90% des plaies opératoires. L’objectif de l’antibioprophylaxie est de diminuer le risque d’infection du site opératoire.
L’antibioprophylaxie en chirurgie fait l’objet de recommandations émanant des diverses sociétés américaines et européennes et qui se basent en partie sur des évidences ou des consensus d’experts.
Les objectifs de ces recommandations sont:
- de réduire l’incidence des infections du site opératoire
- d’utiliser des antibiotiques ayant démontré la preuve d’efficacité
- d’utiliser des antibiotiques avec des effets mineurs sur la flore bactérienne normale et sur les défenses de l’hôte
- d’utiliser des antibiotiques avec peu d’effets secondaires
Il est important de souligner que la prophylaxie antibiotique chirurgicale est un des piliers de la prévention des infections du site opératoire mais ne remplace pas les autres mesures et en particulier la préparation cutanée, une bonne technique chirurgicale et le respect de l’asepsie. La plupart des recommandations s'appliquent avant tout à la chirurgie élective, mais dans certain cas également à des opérations en urgence.
Les principes généraux d'administration antibiotique décrits dans cette recommandation sont basés sur les recommandations pour les adultes, mais s'appliquent également aux enfants.Les principaux facteurs de risque des infections du site opératoire dépendentde la concentration bactérienne, de la virulence des micro-organismes et de la qualité des mécanismes de défense du patient et de l'état de la plaieOn fait la distinction entre les plaies «propres», «propres-contaminées», «contaminées» et «sales» pour déterminer le risque de contamination d'une plaie lors d'une intervention et le risque infectieux. Même au cours des opérations «propres» et pratiquées dans des conditions d'asepsie stricte, on observe régulièrement une contamination du site opératoire. En effet, bien que la désinfection cutanée préopératoire permette d'éliminer la flore microbienne transitoire et de réduire la flore permanente, il peut persister des bactéries au niveau des follicules pileux, des glandes séborrhéiques et sudoripares (ce qui représentent jusqu'à 20% de la totalité de la flore cutanée). Ceci peut constituer une source de contamination lors d'interventions propres. Lors de l'ouverture d'organes creux dans le cadre d'opérations «propres-contaminées» ou «contaminées», il s'y ajoute une contamination par les microorganismes saprophytes ou pathogènes qui sont présents.
Taux d’infection du site opératoire
Type de chirurgieTaux d’infection du site opératoire
Propre< 2%
Propre contaminée< 10%
Contaminée15-20%
Sale40%
Les bactéries les plus relevantes sont listées dans le tableau suivant (tiré de swissNoso vol 7 n°2 juin 2000)
Site | Germes les plus fréquents |
Peau | Staphylococcus aureus, Staphylococcus epidermidis, Propionibacterium acnes, diphteroides |
ORL (nez, bouche, pharynx) | Staphylococcus aureus, Streptococcus pneumoniae, divers streptocoques, Escherichia coli, Bacteroides sp., Fusobacterium sp., Peptostreptococcus sp., Actinomyces sp. |
Voies respiratoires | Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae |
Tube digestif inférieur | Escherichia coli, Klebsiella sp., Enterobacter sp., autres entérobactéries, Bacteroides fragilis, Peptostreptococcus sp., Enterococcus sp. |
Voies biliaires | Escherichia coli, Klebsiella sp., Proteus sp., Clostridium sp., Enterococcus sp. |
Voies urinaires | Escherichia coli, Klebsiella sp., Proteus sp., Enterobacter sp., Enterococcus sp. |
Principes de l’antibioprophylaxie
De nombreuses études démontrent l'efficacité et le coût-bénéfice favorable d'antibiotiques prophylactiques administrés lors d'interventions «propres-contaminées» ou «contaminées». Dans les interventions dites «propres» l'utilité d'une prophylaxie antibiotique dépend du type d'intervention et du taux d'infection de base de l'institution. Pour la chirurgie sale l’infection est déjà présente et il s’agit avant tout d’une antibiothérapie curative. Cependant lors de prise en charge précoce du patient (dans les 6 premières heures) l’antibiothérapie précoce s’apparente à une antibioprophylaxie mais le plus souvent l'administration d'antibiotiques doit être poursuivie après l'intervention. L’antibioprophylaxie doit couvrir la flore bactérienne colonisant habituellement le site opératoire. La cible bactérienne doit être identifiée et dépend du site opératoire, de l’écologie locale et de la flore endogène du patient. Il est important de choisir des antibiotiques ayant un spectre étroit d’activité mais couvrant les principales bactéries pouvant coloniser le site opératoire. L’administration de l’antibiotique doit précéder le début de l’intervention et doit être administré = 60 minutes avant l’incision de la peau. La prescription est limitée à la période opératoire parfois à 24h et exceptionnellement à 48 heures. Une prophylaxie de plus de 48h peut sélectionner des bactéries résistantes. La dose initiale est le double de la dose usuelle et une concentration tissulaire efficace doit être maintenue durant toute l’intervention et en particulier lors de chirurgie cardiaque d’une durée de > de 4 h (injection d’une seconde dose en cours d’intervention). Lors de perte sanguines importantes (>150oml) +/_ transfusions en cours d’opération, l’administration d’une dose complémentaire d’antibiotiques doit être discutée. Les choix des antibiotiques utilisés sont établis localement par une équipe multidisciplinaire associant les chirurgiens, les anesthésistes, les infectiologues, les pharmaciens et les microbiologistes. Ce choix consensuel doit faire l’objet de protocole écrit, qui inclut les responsabilités de chacun dans son application et être validé par les différents partenaires. Le protocole doit être distribué aux différents partenaires impliqués dans son application. Ce protocole doit être remis à jour régulièrement en tenant compte des données scientifiques, de l’évolution des techniques et des profils de résistance bactérienne.
Choix de l’antibioprophylaxie péri-opératoire
Les céphalosporines de première et de deuxième génération sont les substances les plus utilisées en raison de leur spectre antibactérien et de l'incidence faible d'effets secondaires et de réactions allergiques. Les antibiotiques doivent être efficaces contre les bactéries qui sont le plus fréquemment en cause dans les infections postopératoires du site chirurgical. La céfazoline est l'un des antibiotiques les plus fréquemment recommandé en raison de sa demi-vie relativement longue (1.9 heures) et de son faible coût. La cefuroxime, une céphalosporine de 2ème génération avec une demi-vie de 2 heures a été démontrée comme efficace en prophylaxie dans de nombreuses études et est utilisée dans beaucoup d'hôpitaux suisses comme une substance de référence dans cette indication.
Pour la chirurgie colo-rectale, en lieu et place d'une prophylaxie avec une céphalosporine de 1ère ou de 2ème génération associée au métronidazole (ou cefoxitine ou amoxicilline-acide clavulanique), certains auteurs recommandent l'utilisation d'une désinfection intestinale avec la néomycine et l'érythromycine administrées par voie orale, spécialement dans les pays anglo-saxons. Cette antibioprophylaxie orale est le plus souvent combinée à des mesures «mécaniques» comme par exemple l'administration de laxatifs ou d'un lavement avec une solution physiologique, ceci afin de réduire la flore du tube digestif. Si une telle approche est utilisée, il apparaît néanmoins utile d'y associer une prophylaxie antibiotique systémique lorsque l'intervention a lieu plus de 10 heures après la dernière administration orale d'antibiotiques, ou lorsque l'opération se prolonge au-delà de 3 heures.
En neurochirurgie, la prophylaxie pose un problème particulier dans la mesure où les antibiotiques doivent avoir une bonne pénétration dans le liquide céphalo-rachidien. Parmi les céphalosporines de 2ème génération, la cefuroxime remplit cette condition (rapport entre concentration dans le liquide céphalo-rachidien et dans le sang variant de 17 à 88%).
Sensibilité des principaux germes
Principaux germes en fonction du site | Sensibilité1 |
Infection du site opératoire quelque soit le site | |
Staphylococcus aureus |
80% sont sensibles à la flucloxacilline, aux céphalosporines 70 % aux macrolides et clindamycine |
Streptocoque béta hémolytique | >90% sont sensibles à la pénicilline, aux macrolides et la clindamycine |
Opération au niveau de la tête et du cou | |
Anaerobes de la flore orale | 95% sont sensibles au métronidazole et à l’amoxicillinine - ac. clavulanique (résistance à la pénicilline) |
Opérations se situant en dessous du diaphragme | |
Anaerobes de la flore orale | 95% sont sensibles au métronidazole et à l’amoxicillinine - ac. clavulanique (résistance à la pénicilline) |
E coli et autres entérobactéries | Approximativement 80-90% des E coli restent sensibles aux céphalosporines II, aux bétatactames combinées avec un inhibiteur des bétalactamases ou la gentamicine |
Insertion de prothèse de greffe ou lors de shunts | |
Staphylocoque coagulase négative | Résistance à la méticilline chez 2/3 des Staphylococoques coagulase négative mais une prophylaxie avec un antibiotique bétalactame est encore appropriée. |
Staphylococcus aureus | 70-80% sont sensibles à la flucloxacilline aux céphaloscporines , aux macrolides et à la clindamycine et dépendent du site opératoire |
Diphthéroides |
1 chiffres tirés du tableau de la sensibilité des germes 2010, établi par le laboratoire du CHUV, IMU/SMPH/DSI
L'utilisation de vancomycine en prophylaxie péri-opératoire ne doit être considérée que lorsqu'il existe un risque vital d'allergie aux bétalactames type I, ou alors chez les patients connus porteurs de S. aureus résistants à la méticilline.
Dans l'avenir immédiat, les céphalosporines vont certainement rester les antibiotiques de 1er choix pour la prophylaxie chirurgicale. Les tableaux suivants résument les régimes prophylactiques et les doses recommandées pour diverses interventions chirurgicales.
Conclusion
L’antibioprophylaxie doit être réservée :
- aux interventions associées à une fréquence élevée d’infections post-opératoires: chirurgie de classe II ou chirurgie "propre-contaminée" (ouverture d’un viscère creux, notamment ceux normalement colonisés par une flore commensale, tels le tube digestif, les voies respiratoires, ou le tractus génital)
- aux interventions de classe I ou chirurgie "propre", dont les complications sont rares, mais graves : infection cardiaque, infection ostéo-articulaire avec ou sans matériel étranger (par ex. infection sur prothèse).
Les chirurgies de classe III, "contaminées" et de classe IV, "sales" relèvent d’une antibiothérapie préemptive ou curative.
L’administration intraveineuse est la voie optimale pour obtenir des taux d’antibiotiques suffisants pendant toute la durée de l’intervention et doit être réalisée =30 min avant l’incision. La dose utilisée n’est jamais inférieure à la dose thérapeutique standard. Lors d’intervention longue, une ré-administration doit être programmée. Il n’y a pas lieu de poursuivre une antibioprophylaxie en dehors de la période péri-opératoire. Elle doit être courteet ne pas dépasser 24 heures après l’opération, même lorsque les drains restent en place.
Références:
- Swiss Noso Volume 7, Numéro 2, Juin 2000. Enos Bernasconi, Lugano; Patrick Francioli, Lausanne Recommandations pour la prophylaxie antibiotique péri-opératoire
- Swissnoso: Mise à jour des recommandations d’antibioprophylaxie chirurgicale en Suisse, 2015 http://www.swissnoso.ch/wp-content/uploads/pdf/v20_1_fr.pdf
- Scottish Intercollegiate Guidelines Network (SIGN). Antibiotic prophylaxis in surgery. A national clinical guideline. Edinburgh (Scotland): Scottish Intercollegiate Guidelines Network (SIGN); 2008 Jul.
- SFAR (Société française d’anesthésie et réanimation Antibioprophylaxie en chirurgie et médecine interventionnelle. Actualisation 2010
- Antibiotic prophylaxis in cardiac surgery. Society of Thoracic Surgeons - Medical Specialty Society. 2005